Les marbres de Vincent Du Bois racontent le devenir immatériel du monde


Navigation privée. Marbre noir Marquina et laiton doré
Art contemporain
A la galerie Air Project, la sculpteur genevois interroge la place du corps dans la révolution numérique
Au centre de la pièce, une main se dresse sur un socle. De ses doigts blancs un peu crispés, elle semble vouloir attraper quelque chose qui lui échappe. Par endroits, la surface très réaliste de sa peau se trouble en se pixélisant, comme si sa matière organique avait été contaminée par un virus numérique.
Intitulé Glitch (God’s Hand), ce marbre résume bien la problématique explorée par Vincent Du Bois pour Navigation privée, présenté chez Air Project : quelle place laisse au corps un monde toujours plus aspiré dans les réalités virtuelles?
“La pléthore d’écrans qui nous entoure sollicite l’ouïe et la vue, mais beaucoup moins le toucher, souligne l’artiste, à qui l’on doit d’avoir organisé, l’an passé, Open End, une exposition au cimetière des Rois. L’abstraction virtuelle est passionnante, mais elle délaisse un peu notre physiologie archaïque.”
Opérant une distanciation entre le somatique et le spirituel, ce bouleversement dans le rapport à la perception sollicite nécessairement l’outil le plus élaboré de l’humanité: le cerveau, sur lequel la science se penche toujours plus passionnément. Vincent Du Bois l’a fait sortir de sa boîte crânienne pour l’étendre au mur ou le mettre en cube. Ainsi de Labyrinthe (Cerveau déployé), une nappe carrée de marbre de Carrare figurant les replis sinueux du cortex tel un labyrinthe. Suspendue devant une source lumineuse et façonnée très finement, la pierre immaculée et translucide prend des airs vaporeux, tandis que la clarté se coule dans ses circonvolutions minérales à la manière de l’intelligence.
Le sculpteur a développé le thème du dédale dans un ensemble consacré aux code QR, informations matricielles constituées de modules noirs sur un carré blanc et lisible avec un smart-phone. “Il s’agit d’un langage algorithmique que l’homme a inventé mais qu’il ne pourra jamais lire”, explique Vincent Du Bois. En donnant du volume à ces codes graphiques dans des tablettes de pierre, l’artiste leur octroie la matérialité qu’ils ne possédaient pas tout en brouillant leur décryptage par les lecteurs numériques. L’idiome éminemment virtuel devient un bas-relief hiéroglyphique, tout emprunt de mystères antiques.
Ces très belles pièces dialoguent avec une série de toiles de Erin Armstrong, une jeune peintre canadienne montrée pour la première fois en Suisse. A travers une gestuelle vive et intuitive, elle réalise des portraits de personnages anonymes, dont les émotions dissolvent les traits bouillonnants. La réalité, là encore, se déforme pour questionner les sens.
Irène Languin
“Navigation privée”: Erin Armstrong et Vincent Du Bois
Jusqu’au 20 janvier 2018 à la galerie Air Project, 11, quai du Cheval-Blanc aux Acacias
www.airproject.ch
TRIBUNE DE GENEVE . 18 décembre 2017