Qr codes

Année

2022

Bas-reliefs

Le projet QR codes sculptures et QR codes bas-reliefs développé par Vincent Du Bois consiste à extraire de la 2e dimension le graphisme des QR codes générés informatiquement pour les reproduire dans la 3e dimension. Ici on arrache au digital pour rendre à l’analogique. Alors que la technologie tend à tout reproduire virtuellement, c’est ici un processus d’inversion qui s’opère. On puise dans la sphère numérique pour nourrir la matière. Le dialogue entre la matière et la révolution numérique étant un thème central de VDB, au travers de cette série de travaux l’artiste traite de l’abstraction sur deux niveaux; l’abstraction fonctionnelle (typique du cerveau) et l’abstraction structurelle (la virtualité). Le QR code, plat et strictement fonctionnel, est transformé dans la matière et se mute en œuvre d’art. D’image infiniment reproduite sur nos écrans, figé dans le marbre, il devient unique.

Aussi, en tant que bas-relief il inspire au toucher, à la façon d’une écriture braille, rendant un peu sa part à un sens contourné par la sphère digitale. Le principe du message codé (algorithmes traduisant liens, mots ou phrases) est conservé puisque des messages types ou personnalisés sont reproduits dans ces objets. Les messages sculptés peuvent rester lisibles ou non, selon les matières et les finitions choisies. Ici c’est l’allusion au langage secret ou perdu qui importe. Les qr codes fonctionnant sur des algorithmes inaccessibles au cerveau humain, il est à parier que ces derniers constitueront tôt ou tard une page de l’archéologie du futur, rejoignant dans cet élan le lot des mystères qu’il appartiendra aux générations de demain de décoder.

Le langage est information. Il est aussi le socle immatériel de notre pensée, et les réseaux sociaux en sont un témoin éloquent. Vincent Du Bois a développé tout un volet de son travail sur les codes ancestraux comme contemporains qui structurent les idiomes. Un part de ce travail se consacre à l’approche numérique du langage via les QR codes. Les QR codes expriment parfaitement l’abstraction technologique qui submerge notre quotidien. Avec les algorithmes qui les composent les humains ont créé un langage qu’ils ne peuvent pas apprendre. Par ailleurs leur présence esthétique, bien qu’envahissante, est peu questionnée. Vincent Du Bois en fait des œuvres d’art. De simples tracé graphiques ils se mutent en tabelles de marbre. A partir de la technique antique de la sculpture sur pierre, l’artiste propose des œuvres contemporaines remplies de poésie et de mystère. Un dialogue entre passé et présent, entre savoir-faire et technologie et entre main et virtualité s’installe. Via le geste le hasard et l’accident s’invitent là où la planification numérique fait tout pour les gommer.

Les QR codes, ces jargons matriciels, se font alors aspirer par la mémoire humaine et s’imprègnent d’histoire, comme les fossiles d’une société future. Ces modules noirs sur fond blanc, que seuls savent lire les appareils numériques, s’échappent de l’immatérialité de l’écran pour devenir matière et délivrer d’autres messages. Vincent Du Bois transforme ainsi en objets tangibles ces mystérieux tableaux de signes en en faisant des bas-reliefs aux sens cachés. Ainsi ces grilles graphiques se transforment en damiers ou en labyrinthes tridimensionnels, un peu à la manière des tablettes d’argile qui sont à l’origine des premières écritures. La vue ici n’est plus le seul sens sollicité puisque le jeu graphique, typique de ces codes, en prenant corps dans la matière comme un langage braille, inspirent le toucher.

Chaque bas-relief reprend la composition originelle du vrai QR code duquel il s’inspire et chacun recèle un mot ou une phrase typique du langage informatique. Navigation privée, vous n’avez plus assez de mémoire, j’accepte, ou Don’t be evil, sortis de leur contexte prennent alors un sens nouveau qui souligne le décalage entre le monde réel sensible et le monde virtuel dématérialisé. Ces QR codes ainsi rendu à la matière offrent un objet formel et esthétique chargé d’un regard nouveau, plein d’humour et de poésie, proposant un peu de recul sur une technologie si dépendante de la dimension fonctionnelle. Ses étranges bas-reliefs sont-ils alors les tables de la nouvelle religion numérique ? (Yasmine Lavizzari, historienne de l’art – extrait présentation exposition « Glitch »- Air projet 2016)