Les 5, 6 et 7 avril prochain se tiendront à Genève les Journées Européennes des Métiers d’Art (JEMA), lors desquelles le public pourra aller à la découverte de savoir-faire manuels et d’artisans locaux. Rencontre avec Vincent Du Bois, sculpteur sur pierre.
Propos recueillis par Emmanuel Mastrangelo
Fondateur de l’atelier Cal’AS, Vincent Du Bois travaille aussi bien sur des chantiers de restauration que dans la création contemporaine; plusieurs de ses œuvres sont visibles dans des espaces publics genevois. Au sein du projet Stonetouch, il collabore avec des artistes et des designers qui cherchent à intégrer la pierre dans leur projet, et il forme régulièrement des apprentis au Centre d’Enseignement Professionnel de Morges (CEPM). « Le travail de la pierre se répartit en trois métiers », explique Vincent Du Bois. « Les tailleurs de pierre, au service de l’architecture, découpent les blocs pour les façades; les marbriers (qui n’utilisent pas que le marbre) réalisent des placages, de la marqueterie, ainsi que des pièces funéraires; enfin, les sculpteurs réalisent des œuvres d’art et peuvent travailler en collaboration avec les tailleurs de pierre ou les marbriers pour les parties ornementées.
Photo: Axel Crettenand
« La branche italienne de ma famille comprend plusieurs générations de sculpteurs-tailleurs de pierre, héritiers de la tradition classique, où la maîtrise du dessin et du geste est fondamentale. Mon arrière-grand-père, venu du nord de l’Italie, s’est installé à Genève, près du cimetière St-Georges; il a pu y exercer son art de la sculpture à une époque où l’art funéraire voulait encore dire quelque chose. Il était communiste, et son atelier fonctionnait comme une coopérative d’artisans. Il a contribué à introduire dans la Genève calviniste une culture latine de l’image, où l’expression est beaucoup plus démonstrative. J’ai été plongé dans cette effervescence artistique dès mon enfance. Après une maturité artistique, puis les Beaux-Arts de Genève où l’enseignement très libre et peu porté sur la technique m’a laissé sur ma faim, j’ai fait un CFC de sculpteur dans l’atelier familial, dirigé par mon grand-père (qui deviendra l’atelier Cal’AS). Je me suis perfectionné lors d’un stage à Carrare, puis, comblé techniquement, j’ai voulu entamer mes propres recherches artistiques. Pour cela, je suis parti accomplir un Master à la School Of The Art Institute Of Chicago, où j’ai pu explorer des approches plus conceptuelles et d’autres matériaux plus adaptés à l’expérimentation et plus rapides que la pierre; j’ai entre autres développé un intérêt pour le land art.
« Même si la restauration d’édifices anciens constitue une part importante du métier de sculpteur, j’ai une vocation plus artistique qu’artisanale. Comme j’ai toujours voulu réaliser moi même mes œuvres, la connaissance du métier est indispensable. Artisan et artiste, je mène les deux activités de front, par amour de la pierre, ce qui me permet aussi d’assurer des revenus plus réguliers; je mets souvent mes compétences au service de la préservation du patrimoine bâti (j’ai travaillé sur la Chapelle des Macchabées, le Conservatoire de Musique, le Musée d’art et d’histoire à Genève). Cependant, la restauration artistique est actuellement dominée par un courant qui préconise d’intervenir le moins possible sur la pierre, afin de conserver la « substance historique ». Or cette approche nécessite des interventions éthiquement discutables (réseaux d’encrages, mortiers artificiels) qui, à terme, accélèrent la détérioration du bâtiment. Les gens de métier pensent plutôt que la pierre est vivante, et que c’est aussi dans un savoir-faire à perpétuer que se trouve la substance historique. En respectant le rythme de la pierre (ravalement, changement), c’est tout le réseau des savoir-faire et le respect des spécificités locales qui sont mis en valeur
Glitch (god’hand), oeuvre de Vincent Du Bois. Photo: Claudine Garcia
« Même si la restauration d’édifices anciens constitue une part importante du métier de sculpteur, j’ai une vocation plus artistique qu’artisanale. Comme j’ai toujours voulu réaliser moi même mes œuvres, la connaissance du métier est indispensable. Artisan et artiste, je mène les deux activités de front, par amour de la pierre, ce qui me permet aussi d’assurer des revenus plus réguliers; je mets souvent mes compétences au service de la préservation du patrimoine bâti (j’ai travaillé sur la Chapelle des Macchabées, le Conservatoire de Musique, le Musée d’art et d’histoire à Genève). Cependant, la restauration artistique est actuellement dominée par un courant qui préconise d’intervenir le moins possible sur la pierre, afin de conserver la « substance historique ». Or cette approche nécessite des interventions éthiquement discutables (réseaux d’encrages, mortiers artificiels) qui, à terme, accélèrent la détérioration du bâtiment. Les gens de métier pensent plutôt que la pierre est vivante, et que c’est aussi dans un savoir-faire à perpétuer que se trouve la substance historique. En respectant le rythme de la pierre (ravalement, changement), c’est tout le réseau des savoir-faire et le respect des spécificités locales qui sont mis en valeur.
« Les savoir-faire traditionnels sont trop riches pour être limités à la restauration, ils doivent aussi être utilisés dans la création contemporaine. Je me méfie de certains courants de l’art contemporain qui créent une scission entre art et artisanat, entre esprit et matière, entre l’idée et la main. Que l’artiste ne soit qu’un concepteur qui délègue la réalisation de ses œuvres à des exécutants m’apparaît comme un divorce entre théorie et pratique, qui prive la création du précieux cheminement menant de l’idée à l’oeuvre. Ce cheminement est plein d’embûches et c’est cela qui le rend précieux: je mets l’erreur et l’accident au cœur de ce dialogue entre concept et savoir-faire. Sans confronter soi-même son idée à la matière, on perd cette dimension évolutive, car la matière vous impose des solutions. Tantôt elle valide votre concept initial, tantôt elle le sublime, mais elle peut tout aussi
bien le démolir. Dans cette perspective, j’ai fondé le projet Stonetouch avec mes collègues Claudio Colucci (designer) et Pierre-André Bohnet (architecte), qui fait collaborer des artistes et des artisans qui cosignent une oeuvre commune. Dans le même esprit, au sein de mon atelier, mes collègues de Cal’AS et moi-même accueillons régulièrement des designers et des artistes contemporains, et sommes très heureux de pouvoir mettre nos mains calleuses au service de leurs créations. Beaucoup d’artistes renommés (Sylvie Fleury, Fabrice Gygi, Gianni Motti, Sophie Calle…) nous font régulièrement l’honneur et le plaisir de pouvoir participer à leurs projets.
« En dernier lieu, je porte une attention particulière à l’évolution numérique, car cette dernière est redoutablement efficace. Elle est cependant un outil à double tranchant: d’un côté, elle met à disposition une panoplie de possibilités à la fois techniques et créatives; de l’autre, elle éloigne la main de la matière par sa dimension virtuelle. Souhaitons donc qu’elle ne devienne pas un argument de plus pour forcer la hiérarchie entre l’esprit et la main. Dans un esprit de continuité et d’harmonie avec la machine, la formation et la transmission des savoir faire traditionnels se révèlent donc des outils précieux ».
La valorisation de la collaboration entre art et artisanat prend toute son importance pour l’Association Suisse des Métiers d’Art (organisatrice des JEMA) qui compte, dans le palmarès de sa première édition du Prix Métiers d’Art Suisse, le Prix Métiers d’art & Design Indosuez Award. Il a été attribué au céramiste Peter Fink à Ependes et à la designer Josefina Muñoz à Genève qui, depuis une première collaboration en 2015 dans le cadre d’un projet de Master avec l’ECAL, mènent des projets en commun.
Journées Européennes des Métiers d’Art
Du 5 au 7 avril 2019 à Genève
L’AGENDA . 2019
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