Rencontre avec Vincent Du Bois

Thierry Mertenat

Un nom à contre-emploi suscitant l’hilarité générale. Vincent Du Bois est sculpteur sur pierre.Depuis maintenant vingt six ans.Bientôt trois décennies à se trimbaler cette carte de visite sonore. «Le truc de ma vie», répond l’intéressé, en suggérant, poliment, que l’on parle d’autre chose. L’image ci-contre ramène au sujet en évitant le rire. Elle est parfaite. Au premier
plan, une «vanité», un crâne en marbre blanc emprunté à la tradition picturale de la nature morte; juste derrière, le regard
simplifié d’un artiste peu vaniteux. «Enfant déjà, j’avais un oeil qui me rapprochait de la matière. J’ai grandi avec ce désir-là:
choper dans la pierre le domaine du vivant. » Soit. L’oeuvre exposée actuellement au 52, rue des Bains, chez le galeriste Edward Mitterrand, rappelle d’abord que le rire, encore lui, n’est pas éternel.

Crâne mutant

A y regarder de plus près, ce crâne est plutôt du côté de la vie. «Du genre mutant, précise l’auteur, en pointant sa bouche
déformée et ses arcades étirées.» En indiquant à l’ignorant que ce trou dans l’os pariétal, invisible sur la photographie, sert à planter une bougie. Memento mori en forme de candélabre. Eclairage à l’ancienne dans une lumière soignée d’aujourd’hui. Un métier à cheval entre deux époques. Une réputation personnelle qui complique un peu le compliment spontané: «Pour les tailleurs de pierre, je suis un artiste; pour les artistes, je reste un artisan», résume en souriant Vincent Du Bois.

On confirme. Deux rendez-vous dans la même journée. Ils sont nécessaires pour faire le tour – incomplet – du sujet. Il
manque la visite de l’atelier, à l’avenue du cimetière, celui de Saint-Georges. C’est là que le grand-père maternel, lui-même fils d’un sculpteur sur pierre de la région de Varese, en Italie, s’installe avec ses rabots et ses ciseaux, développe la tradition de l’image, notamment funéraire, et impose son nom (Cassani, le chêne, en celte) dans un milieu sans réelle concurrence. A sa mort, il y a dix-huit ans, l’entreprise ferme. «J’ai réussi à sauver un bout de l’atelier», glisse le petit-fils, en ajoutant, pour prévenir la mauvaise interprétation biographique: «Je ne crois pas trop à la génétique du talent.» L’apprentissage du métier fait voyager et apprendre les langues. Cinq mois dans l’atelier du sculpteur animalier Robert Hainard; huit mois dans un atelier de sculpture sur pierre à Pietra Santa, en Toscane; six mois dans les ateliers de Hudson River Stone à Tribeca (New York). A la même époque, un master en sculpture à Chicago. Dans la foulée d’un début de carrière qui s’enrichit de la main des autres pour parfaire la sienne, des prix, des bourses et des commandes publiques.

Vincent Du Bois
Bio express

1965 Naissance le 10 novembre à Genève.
1985 Maturité au Collège de Saussure.
1988 CFC de sculpteur sur pierre.
1992 Master of Fine Arts en sculpture à la School of the Art Institute de Chicago.
1994 Premier prix, avec réalisation, du concours de sculpture pour l’aménagement de la place du Grand-Saconnex.
2006/2009 Invité à la triennale contemporaine de Echigo Tsumari (Japon).
2010/2012 Expose avec d’autres artistes de Stonetouch à Art Basel et à la Galerie Mitterrand + Cramer, dans la série
Candélabres.
TH.M.

Artisanat ancestral

Vincent Du Bois prend du volume. A Lancy, depuis l’année dernière, une sculpture en granit de six tonnes (Memory Waves, deux blocs imposants qui se font face). Ailleurs sur le territoire genevois, d’autres oeuvres permanentes. Mais aussi des chantiers de restauration qui ramènent cet artisanat ancestral comme celui, récent, de la «maison des paons» aux Eaux-Vives. Ce matin-là, juché au sommet de son échafaudage, l’artiste porte une coiffe de caravanier pour se protéger de cette poudre blanche qui recouvre les coursives. La pierre de Paris, très fine et modelante, retourne à la poussière. Visite commentée à deux voix. Le collègue Pierre Buchs complète les explications pratiques. Connivence.

Vincent Du Bois n’est pas un solitaire. Parole généreuse, silhouette de plein air, il ne change pas de vocabulaire pour franchir,
l’après-midi, le seuil de son galeriste. «Je ne pourrais pas passer mes journées àgratter les façades. Réfléchir sur son époque, se mêler à la création du monde, mais en sachant d’où l’on vient: voilà ce qui occupe mes mains et mon esprit.»
Avec talent et sans contre-emploi.

Tribune de Genève . 2 avril 2012