Michel-Ange et les robots. (PHOTO EDDY MOTTAZ)

VINCENT DU BOIS

Le sculpteur genevois allie le corps à l’informatique, en réfléchissant au transhumanisme et à l’art funéraire du futur. Son livre « La Main et l’art contemporain » est verni aujourd’hui.

« Je ne voulais pas avoir l’impression de ne pas être né dans le bon siècle. Au contraire, je voulais profiter du moment où je vis »

« Je venais ici peindre les brouettes, c’était mon job d’été », se souvient Vincent Du Bois. On est chez lui, dans une suite de cours et d’entrepôts face au cimetière genevois de Saint-Georges, au milieu du petit secteur urbain où se regroupe les marbriers. On vient s’intéresser à l’homme et à ses multiples casquettes (artiste contemporain, sculpteur à l’ancienne, entrepreneur, programmeur de robots) à l’occasion de la sortie de sont livre Le Main et l’art contemporain*, verni aujourd’hui.

Il y a trente ans, ces mêmes lieux abritaient l’entreprise de son grand-père, « qui avait repris la boîte de mon arrière-grand-père, un anarchiste sympa qui avait créé une coopérative en arrivant ici ». A Viggiù, Lombardie, la famille taillait la pierre depuis trois ou quatre générations. A Genève, l’aïeul « a trouvé du taf au bord des cimetières, amenant avec lui une tradition italienne à l’image qui était typiquement… pas protestante ». C’était l’époque où, pour orner les tombes, on sculptait des colonnes enlacées de lierre et des corps entiers.

Il y a donc des brouettes et des artisans dans les récits d’enfance de Vincent Du Bois, mais aussi des artistes. Une des branches de la famille s’appelle Hainard: on y trouve Robert, le grand graveur naturaliste, et Philippe, directeur des Beaux-Arts dans le premier tiers du XXe siècle. Entre ces deux mondes, le jeune Vincent entreprend, sans trop le savoir, de faire une synthèse. « J’ai commencé les Beaux-Arts et je m’y suis un peu ennuyé, j’avais besoin de plus de rigueur. J’ai signé un contrat d’apprentissage de sculpteur sur pierre et me suis confronté au côté ouvrier, pragmatique. Mais dans ma tête, l’idée était d’être sur les traces de Michel-Ange: une tradition où on se contente pas de tailler les coins, mais où l’on pénètre dans les blocs, où la matière est traversée de tous les côtés, comme si elle était molle. »

Devenu sculpteur accompli et artiste en puissance, Vincent Du Bois part à Carrare, ville toscane où, depuis l’époque romaine, on creuse les montagnes de marbre environnantes pour en tirer des pièces qu’on envoie vers la totalité du monde connu. Près des carrières, alors en plein effervescence, il se retrouve « à tailler pour des artistes connus comme César, qui faisait réalsier des oeuvres en pierre dans la région ». Une année passe. « J’avais envie de savoir si j’étais un peu artiste comme je le pensais au début, ou si j’étais juste devenu un artisan correct. » Le lieu choisi pour résoudre le dilemme sera la prestigieuse Ecole de l’Institut d’art de Chicago. « Les Américains n’avaient pas cette sorte de mépris pour mon savoir-faire de sculpteur que je percevais dans le monde de l’art en Suisse. Au contraire, ils étaient fascinés par ça ». Tournant: « C’est à partir de ce moment-là que je suis devenu contemporain. Je ne voulais pas avoir l’impression de ne pas être né dans le bon siècle. Au contraire, je voulais profiter du moment où je vis ».

Depuis son retour de Chicago, en 1992, l’artiste expose régulièrement en Suisse et à l’étranger. « Pendant un moment, la pierre avait une image un peu poussiéreuse. Maintenant, c’est un peu plus à la mode. Il y a pas mal de projets en pierre et on me dit souvent: c’est incroyable, tu sais faire ça? » La matière, en effet, n’a pas dit son dernier mot: « La numérisation est arrivée il y a une quizaine d’années dans ce domaine, amenant de nouveaux outils pour travailler la pierre qui était restée… à l’âge de pierre, taillée depuis 2000 ans avec les mêmes techniques. Je me suis passionné pour cette évolution. »

Passion physique, d’une part: associé à un architecte et à un designer, Vincent Du Bois crée la société StoneTouCH, qui édite « des objets d’art et de design, conçus par nous ou par des artistes invités, réalisés dans un atelier à Carrare où travaillent dix sculpteurs et sept robots; les machines dégrossissent, les humains finissent le travail. »
Passion intellectuelle, aussi: l’artiste plonge dans la réflexion transhumaniste, un « galop vers l’abstraction » qui imagine un abandon de nos corps de chair et un transfert de nos esprits dans des machines. « Je n’ai aucune envie de dire: c’est horrible, n’y allons pas. L’humain est trop attiré par cette direction-là pour ne pas y aller ».
Dans son livre, Du Bois projette ces réflexions sur le monde de l’art, défendant une approche de la création qui se déroule « dans un roulement du corps à l’esprit et de l’esprit au corps ».

Avec ses robots, ses programmes informatiques et son savoir-faire classique, le sculpteur a créé la main haute de trois mètres qui trône aujourd’hui au cimetière des Rois dans l’exposition Open End. C’est le thème de la création, la main de Dieu. Ca m’amusait parce que je suis athée et que je peux mettre ce que je veux là-derrière. En scannant un code QR au pied de l’oeuvre, on entre en contact via son téléphone portable avec un dieu virtuel… » Entre son atelier à l’avenue du Cimetière et cette expo qui questionne le devenir de l’art funéraire, le sculpteur change une foi de casquette pour s’arrêter à la cathédrale Saint-Pierre, où il restaure depuis une année la chapelle dite « des Macchabées ». L’homme aime le paradoxe, mais il a de la suite dans les idées.

Vincent Du Vois, « La Main et l’art contemporain (réflexion inutile n°6) »
(Editions Slatkine). Vernissage jeudi 13 octobre à 17h30 à la librairi Archigraphy à Genève (place de l’Ile 1).

NIC ULMI

Le TEMPS . 13 octobre 2016