Nicolas Lemaître gravé dans la roche
Un moment à la mémoire du protestataire exécuté en 1707 a pris place ce mardi dans le parc Harry-Marc. Il fait revivre un pan méconnu de l’histoire genevoise.
« Il y a une rue Pierre Fatio, il devrait y en avoir une pour Nicolas Lemaître. » Olivier Fatio, ancien doyen de la Faculté de théologie, oeuvre depuis des années pour que soit réhabilité, aux côtés de son illustre ancêtre, ce leader de la contestation citoyenne. C’est désormais chose faite. Pas de boulevard, mais une oeuvre d’art du sculpteur Vincent Du Bois installée à l’extrémité nord de la plaine de Plainpalais. Ce mémorial commémore l’exécution de Nicolas Lemaître au début du XVIIIe siècle.
Depuis trois cents ans, son nom est tombé dans l’oubli. Ce maître horloger a pourtant joué un rôle central dans les luttes contre l’exercice oligarchique du pouvoir à Genève. Critique de l’accaparation des instances politiques par l’aristocratie, il se soulève aux côtés de l’avocat Pierre Fatio. Ensemble, ils demandent le rétablissement des droits du Conseil général, qui rassemble citoyens et bourgeois, la publication des lois et l’application du droit d’initiative. Le gouvernement juge ces revendications séditieuses et fait en sorte de décapiter le mouvement démocratique: accusé à tort d’avoir comploté contre les autorités, Nicolas Lemaître est emprisonné et finalement pendu le 23 août 1707 après un procès expéditif. L’exécution de Pierre Fatio suivra le 6 septembre de la même année.
« Cette injustice m’a touché. J’ai voulu intégrer dans mon oeuvre la question de l’oubli », explique Vincent Du Bois. Entre ses mains, le burin a façonné un bloc, face supérieure tronquée, dans laquelle est gravé en bas relief un QR code (un code-barre à scanner sur son téléphone). « Les QR codes sont à l’origine un langage numérique bidimensionnel, qui fait appel essentiellement à la vue. En les matérialisant dans la pierre, je les rends uniques et accessibles au toucher. J’intègre à quelque chose de purement fonctionnel un aspect esthétique, et le résultat ressemble à une forme de braille, un labyrinthe, ou un code inca. »
Un simple survol de l’oeuvre d’art avec un smartphone renvoie à une page internet qui retrace l’histoire de Nicolas Lemaître. Mais pour combien de temps? « L’humain a inventé les QR codes, un langage qu’il ne peut paradoxalement ni lire ni écrire. Un jour, ces symboles tomberont dans l’oubli. Mais cette mémoire gravée dans la pierre continuera d’exister, silencieusement. Il faudra alors un Champolion du numérique pour la décoder. »
MAUDE JAQUET
LE COURRIER . 10 octobre 2018
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