Cerveaux
Artiste
Vincent Du Bois
Année
2022
« Le XXIe siècle sera celui du cerveau », disent les neurosciences.
Le marbre, choisi pour réaliser les objets de cette série de sculptures, opère comme l’antithèse de l’immatérialité et de l’abstraction. L’abstraction de la pensée bien sûr, mais aussi l’abstraction numérique. Le poids et la dureté de la pierre imposent la présence matérielle de l’objet et, ce faisant, interrogent la place du corps face à une technologie qui prône la dématérialisation. La sculpture propose ici un recul critique dont le spectateur doit se saisir.
En opposant le monde de la matière à la sphère digitale, Vincent Du Bois s’intéresse à la distanciation qui s’installe entre le haut et le bas de la machine humaine, entre corps et esprit. Les images virtuelles, les modes de connexions qui nous mettent en réseau ou le filtre des écrans par lesquels nous recevons des milliards d’informations sont abstraits, et c’est parce que nous sommes équipés d’une capacité de pensée symbolique que nous pouvons à la fois créer et suivre cette évolution. Au centre de ce processus se trouve le cerveau, outil majeur de notre perception. Mais qu’est-il sans les capteurs ou récepteurs sensoriels du corps ? Pour illustrer ce paradoxe d’une virtualité omniprésente et omnipotente, les objets sculptés dans le marbre par Vincent Du Bois s’inspirent de l’esprit (crâne et cerveau). Les sujets sont repensés dans leur aspect formel et se rationalisent (cerveau ou crâne cubique) ou se dévoilent autrement (cerveau déplié).
Portées par l’aspect tantôt cristallin, tantôt opaque ou translucide de la pierre, les sculptures véhiculent de nouveaux messages et ouvrent le débat au-delà de la représentation biologique. Les avancées en biotechnologies sont si vertigineuses d’innovations que, pour la première fois en 4,5 milliards d’années d’évolution organique, une intelligence inorganique est en ligne de mire. Les micro-technologies sont maintenant en phase de plonger dans nos corps et nos esprits pour les améliorer. Scénario inédit dans notre histoire, l’évolution se ferait alors à dessein. Un dessein conçu par et pour l’humain, contournant le lent processus de l’adaptation et de la sélection naturelle. Pas de nostalgie pourtant dans le travail de Vincent Du Bois. Au contraire, l’art est ici utilisé pour questionner, tout en y participant, un progrès qui va plus vite que notre sagesse et une science qui impose sa puissance en nous privant de toute notion de choix. L’artiste prend plaisir à jongler avec ces thèmes (génie génétique, cyborgs, intelligence artificielle, vie inorganique) dont personne ne peut prévoir encore la tournure. Les œuvres conçues pour cette série font le grand écart entre la tradition sensuelle de la main, qui façonne la matière, et la planification numérique, qui la contourne.
La boîte crânienne Navigation Privée, sur laquelle est apposée un QR code, est un double clin d’œil décalé au langage de nos ordinateurs et au projet d’hyper-connectivité, dont le cerveau est la cible.
Le cerveau déployé Labyrinthe se veut une réinterprétation du cœur de nos méninges. Il dévoile un cheminement vers un graal caché (un trésor ?). Une dimension de fragilité et de transparence est ici rendue possible grâce au traitement du marbre sculpté très finement, jusqu’à le rendre translucide, presque immatériel. Cela évoque tout à la fois la fragilité de la vie (allusion aux vanités), le vitrail et la spiritualité d’une lueur extérieure à l’homme, ou encore les notions d’idée, de lumière, de conscience.
Le concept qui anime Cubicle brain, « To be or not to be », à savoir un cerveau carré qui a subi un nouveau formatage et qui a été obligé de s’adapter à la rationalité fonctionnelle tout en gardant les mêmes proportions qu’un vrai cerveau humain (environ 12 cm3), est le reflet de la désincarnation qui plane au cœur du projet numérique, en général, et de l’intelligence artificielle, en particulier.